Errance diagnostique : des années à chercher ce qui cloche

Errance diagnostique : des années avant d'être crue. Ce que vivent les femmes avec maladies chroniques. Pourquoi en parler change tout.

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Errance diagnostique : des années à chercher ce qui cloche

8 ans. 10 ans. 15 ans parfois. C'est le temps que ça prend pour certaines d'entre nous avant d'obtenir enfin un diagnostic. Endométriose, fibromyalgie, spondylarthrite, polyarthrite, maladie de Crohn, SOPK, lupus, polychondrite atrophiante, hypothyroïdie ... Les pathologies sont différentes, mais l'histoire est souvent la même. Des années à entendre "c'est dans votre tête". Des années à douter de toi. Des années à te demander si tu n'exagères pas, si tu n'es pas juste douillette, si tu n'es pas folle. Des années pendant lesquelles ta vie est en pause, mais personne ne te croit. Et quand enfin le diagnostic tombe - si jamais il tombe - tout le monde pense que c'est fini. Mais en vrai, c'est juste le début d'autre chose.

La galère commence (ou comment devenir experte de ton propre corps malgré toi)

"C'est normal" / "C'est dans votre tête" / "Perdez du poids et revenez me voir"

Tu te souviens de la première fois qu'on ne t'a pas écoutée ?

Peut-être que c'était : "C'est normal d'avoir mal pendant les règles, toutes les femmes ont mal." Alors tu as serré les dents pendant des années en te pliant en deux chaque mois.

Ou peut-être : "Vous êtes trop stressée, prenez des vacances." Alors que tu ne pouvais même plus sortir de ton lit tellement la fatigue était écrasante.

Ou encore : "Perdez 20 kilos et on verra après." Comme si ton poids expliquait cette douleur articulaire invalidante, ces vertiges, ces symptômes qui s'empirent.

Ou pire : lorsque les diagnostics sont différents selon ta couleur de peau. Les douleurs minimisées systématiquement. Les examens qu'on ne te prescrit pas parce qu'on suppose que "les femmes comme toi" dramatisent.

Les raisons de la non écoute sont multiples. Mais le résultat est le même : on ne te croit pas.

Tu savais pourtant que quelque chose clochait. Tu le sentais. Mais on te renvoyait systématiquement à toi-même. À ton poids. À ton stress. A ton jeune âge. À ta "sensibilité excessive". À tes "origines" où "les gens dramatisent plus".

On t'a appris à ne pas te faire confiance.

À douter de ton propre ressenti. À penser que le problème venait de toi. Que tu étais faible. Trop grosse. Trop stressée. Trop dramatique.

Tout sauf malade. Vraiment malade.

Le début du marathon médical

Et puis un jour, tu as décidé que non, ce n'était pas normal. Que tu méritais des réponses.

Tu as pris rendez-vous avec un spécialiste. Puis un autre. Puis un troisième.

Tu as fait des échographies. Des prises de sang. Des IRM. Des scanners.

"Tout est normal, Madame."

Cette phrase, tu l'as entendue combien de fois ? Dix ? Vingt ? Cinquante ?

Chaque fois, c'était un mélange de soulagement et de désespoir. Soulagement parce que "tout est normal", c'est censé être une bonne nouvelle. Désespoir parce que putain, si tout est normal, pourquoi tu souffres autant ?

Tu as commencé à collectionner les médecins comme d'autres collectionnent les timbres. Tu es devenue une experte en navigation dans le système de santé. Tu connaissais par cœur les délais de rendez-vous, les noms des meilleurs spécialistes, les examens à demander.

Tu as transformé ta vie en enquête médicale permanente.

Le gaslighting médical (et ses multiples visages)

Et puis il y a eu ce moment. Ou plutôt, ces moments répétés. Ces consultations où tu as compris qu'on ne te prendrait jamais au sérieux.

"Avez-vous pensé à consulter un psychologue ? Le stress peut provoquer beaucoup de symptômes physiques."

"Votre IMC est trop élevé, on ne peut pas vous opérer dans ces conditions. Revenez quand vous aurez perdu du poids."

"Les femmes sont plus sensibles à la douleur, c'est connu. Vous amplifiez probablement."

"Dans votre culture, vous avez tendance à être plus expressives. Ces symptômes sont sûrement exagérés."

"À votre âge, c'est normal d'être fatiguée. Vous travaillez, vous avez des enfants..."

Le gaslighting médical prend mille formes. Mais il a toujours le même effet : te faire douter de ta propre réalité.

Si tu es une femme racisée, on te renvoie à tes "origines", à ta "culture", à cette idée que tu dramatises par nature. On ne te prescrit pas les mêmes examens. On ne prend pas tes douleurs aussi au sérieux. Les études le montrent : les femmes noires et arabes reçoivent moins d'antidouleurs, moins d'examens approfondis, moins d'écoute.

Si tu es grosse, tout devient la faute de ton poids. Peu importe que ces symptômes aient commencé quand tu pesais 20 kilos de moins. Peu importe que perdre du poids ne change rien. Le poids est l'écran de fumée parfait pour ne pas chercher plus loin. Et pendant ce temps, ta pathologie progresse, non diagnostiquée.

Si tu es une femme, ta douleur est psychologisée. On te renvoie chez le psy avant même d'avoir fait des examens sérieux. Parce que les femmes, c'est connu, elles somatisent. Elles sont hystériques. Elles exagèrent.

Le résultat ? Tu sors du cabinet en pleurant.

Pas de douleur physique cette fois. De rage. D'impuissance. De désespoir.

Parce qu'on vient de te dire que c'était dans ta tête. Ou dans ton corps "mal entretenu". Ou dans ta "sensibilité culturelle excessive".

Que ta douleur n'était pas réelle. Que tu l'inventais. Que le problème, c'était toi.

Et le pire ? C'est que tu as commencé à le croire.

À te demander si effectivement, tu n'étais pas en train d'inventer tout ça. Si tu n'étais pas juste incapable de gérer normalement la vie. Si tu ne cherchais pas juste de l'attention.

Le gaslighting médical, ça te détruit de l'intérieur. Ça te fait douter de ta propre perception. De ton propre ressenti. De ta capacité à évaluer ce qui se passe dans ton corps.

Surtout quand ce gaslighting se répète. Consultation après consultation. Année après année.

La vie en suspens

Pendant ce temps, ta vie continue. Enfin, façon de parler.

Tu as raté combien d'événements importants à cause de cette douleur dont personne ne trouve la cause ? Combien de voyages annulés ? Combien de soirées passées seule chez toi pendant que tes amies sortaient ?

Tu as fait quoi de tes ambitions professionnelles ? Tu as accepté ce poste en dessous de tes compétences parce que tu ne pouvais pas garantir d'être "fonctionnelle" tous les jours. Tu as renoncé à créer ton entreprise parce que "ce n'est pas le moment". Tu as mis ta vie en pause.

En attendant de savoir ce qui cloche.

Tes relations amoureuses ? On en parle ? Comment expliquer à quelqu'un que tu as mal, mais que non, tu ne sais pas pourquoi, et que oui, tous les examens sont normaux, et que non, ce n'est pas psychologique ?

Combien de fois tu t'es forcée à faire cette sortie ou faire cela pour ne pas "poser problème" ? Pour ne pas le perdre ?

Et parfois, ils sont partis quand même. Pas par méchanceté. Juste parce que c'était trop. Parce qu'ils ne comprenaient pas. Parce qu'ils ne te croyaient pas vraiment, eux non plus.

Et toi, tu as fini par penser que tu ne méritais pas d'être aimée avec tous ces symptômes inexpliqués.

Le jour où tout bascule (ou pas)

Enfin, un nom (et la délivrance qui va avec)

Et puis un jour, après 5 ans, 8 ans, 12 ans, 15 ans parfois, tu es tombée sur LE médecin. Celui qui a écouté. Celui qui a cru. Celui qui a su.

Il t'a fait passer un examen que personne n'avait pensé à faire avant. Ou il a simplement pris le temps de te poser les bonnes questions. Ou il était spécialisé dans cette pathologie que tous les autres avaient ratée. Ou il a fait le lien entre des symptômes que personne n'avait pensé à relier.

Et il a prononcé le mot.

Endométriose. Spondylarthrite. Fibromyalgie. Maladie de Crohn. SOPK. Lupus. Syndrome d'Ehlers-Danlos. Maladie de Lyme. Hashimoto. Polyarthrite. Sclérose en plaques. Peu importe.

Enfin, un nom. Enfin, une explication. Enfin, une validation.

Tu te souviens de ce moment ? Ce mélange d'émotions contradictoires qui t'a submergée ?

Le soulagement, d'abord. Un soulagement immense, viscéral, qui te coupe presque les jambes.

Tu n'étais pas folle.

Tu n'inventais rien. Ce n'était pas dans ta tête. Ce n'était pas à cause de ton poids. Ce n'était pas ta "sensibilité excessive" ou ta "culture dramatique". Ce n'était pas le stress. Ce n'était pas ton incapacité à gérer la vie normalement.

C'était réel. Ça a toujours été réel.

Toutes ces années où tu as douté de toi. Où tu t'es excusée d'exister avec ta douleur. Où tu t'es sentie coupable de ne pas être "normale". Où tu as cru les médecins qui te disaient que le problème venait de toi.

Tout ça s'effondre d'un coup.

Et c'est libérateur. C'est comme si quelqu'un posait enfin les mots sur ce que tu vivais depuis des années. Comme si on te donnait enfin le droit d'avoir mal. Le droit d'être fatiguée. Le droit de ne pas pouvoir faire tout ce que les autres font.

Le droit d'exister avec ta réalité.

Pour certaines d'entre nous, ce diagnostic est une véritable délivrance. Surtout si l'errance a été longue. Surtout si on a été particulièrement maltraitée par le système médical.

Enfin, tu as une preuve. Un papier officiel qui dit "elle ne mentait pas". Une pathologie reconnue. Un nom que tu peux donner quand on te demande ce que tu as.

Tu n'as plus à te justifier. À convaincre. À prouver.

Tu as pleuré. Pas de tristesse. De soulagement pur. Enfin quelqu'un te croyait. Enfin tu avais une légitimité. Enfin tu pouvais dire aux autres : "Vous voyez ? Ce n'était PAS dans ma tête. J'avais raison depuis le début."

C'était une victoire. Petite, amère peut-être. Mais une victoire quand même.

La colère qui arrive après (et qui est plus que légitime)

Mais très vite, après le soulagement, il y a eu autre chose. Quelque chose de plus sombre, de plus violent.

La colère.

7 ans. 10 ans. 15 ans parfois.

Des années pendant lesquelles tu as souffert sans savoir pourquoi. Des années pendant lesquelles on ne t'a pas crue. Des années de ta vie que tu ne récupéreras pas.

Combien de médecins tu as vus qui n'ont pas su ? Qui n'ont pas cherché ? Qui ont préféré te renvoyer à ton poids, à ton stress, à ta "sensibilité", plutôt que d'admettre qu'ils ne savaient pas ?

Combien d'examens on ne t'a pas prescrits parce que tu ne rentrais pas dans le "profil type" de la maladie ? Parce que tu étais trop jeune, trop grosse, de la mauvaise couleur, du mauvais genre ?

Combien d'opportunités tu as ratées pendant ce temps ? Combien de décisions tu as prises en fonction d'une douleur qu'on te disait "normale", "psychologique", ou "liée à ton poids" ?

Des années volées. Des années de ta vie où tu aurais pu être traitée, soulagée, accompagnée.

Et personne ne te rendra ces années. Personne ne s'excusera.

Les médecins qui se sont trompés ne sauront même jamais qu'ils se sont trompés. Ceux qui ont été discriminants ne réaliseront jamais l'impact de leurs préjugés sur ton parcours.

Le système qui met plus de temps à diagnostiquer les femmes que les hommes ? Il continuera.

Le système qui minimise la douleur des femmes de couleur ? Il persistera.

Le système qui refuse de soigner les personnes grosses avant qu'elles maigrissent, même quand la pathologie n'a rien à voir avec le poids ? Il ne changera pas.

Ta vie a été mise en pause pendant toutes ces années. Mais pour le système médical, ce n'est qu'une statistique de plus. Une femme de plus qui a attendu trop longtemps.

Et cette colère, elle est légitime. Elle est même nécessaire.

Parce qu'elle te dit que ce que tu as vécu n'était pas acceptable. Que tu méritais mieux. Que tu mérites toujours mieux.

Parce qu'elle te rappelle que ce n'était pas de ta faute. Que tu t'es battue. Que tu as cherché. Que tu as insisté. Mais que le système t'a laissée tomber.

Cette colère, c'est ta façon de te réapproprier ton histoire.

De dire non, ce n'était pas OK. Non, ce n'est pas normal de mettre 10 ans à diagnostiquer une femme. Non, ce n'est pas acceptable de ne pas prendre la douleur au sérieux parce que la patiente est grosse, racisée, ou "juste" une femme.

"Au moins maintenant tu sais"

Et là, ton entourage te sort la phrase magique :

"Au moins maintenant tu sais ! C'est une bonne nouvelle !"

Non. Ce n'est pas une bonne nouvelle.

Ou alors c'est la moins pire des nouvelles de m....

Savoir que tu as une maladie chronique, ce n'est pas gagner au loto. C'est juste passer de l'incertitude totale à une certitude bien chiante.

Avant, tu ne savais pas ce que tu avais. Maintenant, tu sais que tu as un truc qui ne partira pas facilement ou peut-être jamais. C'est pas vraiment un upgrade.

Alors oui, c'est mieux que de ne pas savoir. Oui, ça te permet d'être traitée. Oui, ça te donne une légitimité.

Mais ça ne rend pas le diagnostic "heureux". Ça reste une mauvaise nouvelle. Juste une mauvaise nouvelle avec laquelle tu peux travailler.

Arrêtons de faire comme si découvrir qu'on a une maladie chronique était une victoire en soi.

Ce que personne ne te dit sur l'après-diagnostic

Tu pensais que ça s'arrêterait là

Naïvement, tu pensais qu'une fois le diagnostic posé, tout allait s'arranger.

Tu allais avoir un traitement. Le traitement allait marcher. Tu allais enfin pouvoir vivre normalement. Fermer cette parenthèse de tant d'années et passer à autre chose.

Sauf que non.

Le diagnostic, ce n'est pas une fin. C'est un début. Le début d'une autre galère.

Parce qu'il faut trouver le bon traitement. Et que le premier ne marche pas toujours. Ni le deuxième. Ni le troisième parfois.

Parce que les effets secondaires sont parfois pires que les symptômes. Parce que ton corps réagit mal. Parce que ce qui marche pour les autres ne marche pas pour toi.

Tu passes d'un labyrinthe à un autre.

Et pendant ce temps, ta vie continue d'être en suspens. Tu continues à annuler. À t'adapter. À gérer. À expliquer.

Sauf que maintenant, au lieu de dire "je ne sais pas ce que j'ai", tu dis "j'ai de l'endométriose". Et les gens pensent que c'est mieux. Que c'est plus clair. Que ça explique tout.

Mais toi, tu vis la même galère. Juste avec une étiquette dessus.

Maintenant, reconstruire (et c'est pas en mode bisounours) 

Passé le diagnostic, on te dit "bon, maintenant tu sais, tu vas pouvoir avancer".

Sauf que c'est pas aussi simple.

Parce que oui, tu as un nom sur ta pathologie. Mais non, ça ne fait pas disparaître les années où on ne t'a pas crue. Ça n'efface pas le fait que tu as perdu du temps. Ça ne rend pas les choses magiquement faciles.

Tu dois maintenant composer avec cette réalité : tu as une maladie chronique.

Et en même temps, tu dois digérer ces années d'errance. Cette colère contre le système. Cette frustration d'avoir été baladée. Ce sentiment d'avoir été volée de quelque chose.

C'est pas évident. Parce que d'un côté, ton entourage pense que maintenant que tu as le diagnostic, tout devrait aller mieux. De l'autre, tu réalises que ça fait des années que tu te bats et que maintenant, tu dois continuer à te battre, juste différemment.

Il y a un décalage entre ce que les autres attendent de toi et là où tu en es vraiment.

Ton entourage ne comprend pas toujours que pour toi, ça fait 5, 9, ou 15 ans que ça dure. Que le diagnostic, c'est pas la fin de la galère, c'est juste une étape. Qu'avoir un nom sur ta pathologie ne change pas le fait que tu continues à galérer au quotidien.

C'est normal de se sentir un peu perdue. C'est normal de ne pas savoir par quel bout prendre tout ça.

Parce que maintenant, tu dois faire deux choses en même temps : gérer ta maladie chronique ET digérer ces années d'errance. C'est un double travail. Et personne ne te dit à quel point c'est complexe.

Reconstruire après tant d'années de doute

Réapprendre à te faire confiance

7, 10, 15 ans à ne pas être crue, ça laisse des traces. A entendre "c'est dans ta tête", "vous êtes trop stressée", "c'est psychologique", ça t'apprend à ne plus te faire confiance.

Tu as appris à douter de ton propre ressenti.

Maintenant que tu as un diagnostic, tu dois réapprendre. Réapprendre à écouter ton corps. Réapprendre à te faire confiance quand tu sens qu'un truc ne va pas.

Parce que pendant toutes ces années, on t'a dit que tu te trompais. Que tu exagérais. Que ta perception était faussée.

Et ça, ça ne disparaît pas du jour au lendemain avec un diagnostic.

Tu continues à te demander si tu n'en fais pas trop. Si tu ne te plains pas pour rien. Si tu as vraiment si mal que ça ou si tu l'imagines.

Le gaslighting médical, il s'est installé en toi. Et maintenant, tu te le fais toute seule.

Il va falloir du temps pour déconstruire ça.

Pour réapprendre que oui, quand tu as mal, c'est réel. Que oui, quand tu es fatiguée, c'est légitime. Que oui, ton ressenti est valide.

Que tu n'as pas besoin d'un médecin pour valider chacune de tes sensations. Que tu es l'experte de ton propre corps.

Mais après des années de conditionnement inverse, c'est un travail de longue haleine.

Gérer la colère envers le système

La colère contre le système médical, elle ne disparaît pas facilement.

Comment ne pas être en colère contre un système qui met autant d'années à diagnostiquer ta pathologie ?

Comment ne pas être en colère contre les médecins qui ne t'ont pas écoutée, qui n'ont pas cherché, qui t'ont renvoyée chez le psy ?

Comment ne pas être en colère contre cette société qui continue de minimiser la douleur des femmes, de la psychologiser, de ne pas la prendre au sérieux ?

Cette colère, elle est saine. Elle est juste.

Mais elle peut aussi te bouffer de l'intérieur si tu ne la transformes pas en quelque chose de constructif.

Certaines femmes deviennent militantes. Elles s'engagent pour que d'autres ne vivent pas ce qu'elles ont vécu. Elles informent, sensibilisent, dénoncent.

D'autres canalisent leur colère dans leur parcours de soin. Elles deviennent des patientes expertes, hyper informées, qui ne se laissent plus faire.

D'autres encore ont besoin de temps pour digérer. Pour laisser retomber. Pour arrêter de ressasser.

Il n'y a pas de bonne façon de gérer cette colère. Il y a juste ta façon.

Mais une chose est sûre : tu ne peux pas faire comme si ces années n'avaient pas existé. Comme si tout allait bien maintenant. Comme si le diagnostic effaçait le parcours.

Il va falloir faire avec cette blessure. Et ça prend du temps.

Oser à nouveau faire des projets 

Après tant d'errance, tu as pris l'habitude de ne plus faire de projets.

Parce que tu ne savais pas ce que tu avais. Parce que tu ne savais pas si ça allait s'arranger. Parce que tu avais peur de t'engager dans quelque chose alors que ton corps était imprévisible.

Tu as mis ta vie sur pause pendant tant d'années.

Maintenant que tu as un diagnostic, on te dit que tu peux reprendre. Que tu peux recommencer à vivre. Que tu peux faire des projets.

Mais c'est pas si simple.

Parce que ta maladie ne va pas disparaître. Parce que tu continues à avoir des contraintes. Parce que ton corps reste imprévisible.

Et surtout, parce qu'après 5, 8, 12 ans à freiner, à renoncer, à t'autocensurer, tu as perdu l'habitude de désirer.

Tu as oublié comment on fait pour rêver. Pour avoir des ambitions. Pour se projeter dans l'avenir.

Il va falloir réapprendre.

Réapprendre à vouloir des trucs. À te donner le droit d'avoir des projets même avec une maladie chronique. À accepter que oui, tu vas devoir adapter, mais que non, tu ne dois pas tout abandonner.

C'est un apprentissage. Une reconstruction.

Et ça ne se fait pas seule.

Pourquoi tu as besoin d'être comprise (vraiment)

Ton entourage ne peut pas comprendre (et ce n'est pas de leur faute)

On va se dire les choses franchement : ton entourage fait ce qu'il peut. Mais il ne peut pas comprendre.

Il ne peut pas comprendre ces 8, 10, 15 ans d'errance. Il ne peut pas comprendre ce que c'est de ne pas être crue. Il ne peut pas comprendre ce que c'est d'être renvoyée à son poids, à sa couleur, à son genre, encore et encore. Il ne peut pas comprendre cette reconstruction après le diagnostic.

Parce qu'il ne l'a pas vécu.

Alors ils essaient. Ils te disent "je comprends" avec les meilleures intentions du monde. Mais non, ils ne comprennent pas. Ils compatissent. Ils sympathisent. Mais ils ne SAVENT pas.

Ils ne savent pas ce que c'est de passer 10 ans à chercher ce qui cloche. De douter de sa propre santé mentale. De se faire gaslighter par médecin après médecin. De perdre des années de sa vie à cause d'un diagnostic raté.

Ils ne savent pas ce que c'est d'entendre "perdez du poids" quand tu sais que ton poids n'a rien à voir avec cette douleur articulaire insupportable.

Ils ne savent pas ce que c'est de voir le regard d'un médecin changer quand il voit ta couleur de peau. Cette façon dont soudain, tous tes symptômes deviennent "exagérés" ou "culturels".

Ils ne savent pas ce que c'est d'être une femme dans un système médical qui a été construit par et pour les hommes. Où la douleur féminine est systématiquement minimisée, psychologisée, ignorée.

Et ce n'est pas de leur faute. Ils ne peuvent pas savoir.

Mais toi, tu as besoin d'être comprise. Vraiment comprise. Par des gens qui SAVENT. Par des femmes qui sont passées par là.

Pas juste des femmes qui ont la même maladie que toi. Mais des femmes qui ont vécu cette errance. Qui ont été maltraitées par le système. Qui ont dû se battre pendant des années pour être crues.

Des femmes qui comprennent viscéralement ce que tu as traversé.

La puissance de partager avec quelqu'un qui est passé par là (vraiment)

Et puis un jour, tu rencontres quelqu'un qui a vécu la même chose.

Quelqu'un qui a aussi mis 3 ans, 5 ans, 10 ans à obtenir un diagnostic. Quelqu'un qui a aussi été renvoyée chez le psy. Quelqu'un qui a aussi perdu une partie de sa vie dans cette errance.

Quelqu'un qui a aussi entendu "perdez du poids avant qu'on s'occupe de vous". Ou "dans votre communauté, vous avez tendance à amplifier". Ou "c'est normal pour une femme d'avoir mal".

Et là, tu n'as plus besoin d'expliquer.

Tu dis "10 ans d'errance" et elle sait. Elle sait ce que ça veut dire. Elle connaît la colère. Le soulagement du diagnostic. La reconstruction difficile. Les deuils à faire.

Tu dis "ils me renvoyaient toujours à mon poids" et elle comprend. Parce qu'elle aussi, on lui a dit de maigrir avant de chercher plus loin. Peu importe que ses symptômes aient commencé 20 kilos plus tôt.

Tu dis "j'avais l'impression qu'on ne me prenait pas au sérieux" et elle acquiesce. Parce qu'elle aussi, elle a senti ce regard. Cette façon dont le médecin te croit moins parce que tu es une femme, parce que tu es racisée, parce que tu ne rentres pas dans la case.

Elle sait que ce n'est pas juste "j'ai eu mon diagnostic et maintenant tout va bien". Elle sait que c'est beaucoup plus complexe que ça.

C'est un soulagement indescriptible.

Parce que pour la première fois, tu peux poser tout ce que tu portes sans avoir à traduire. Sans avoir à minimiser. Sans avoir à expliquer pourquoi tu n'es pas "juste contente" d'avoir enfin un diagnostic.

Tu peux dire que tu es en colère. Que tu as l'impression d'avoir perdu 10 ans. Que tu ne sais pas comment reconstruire. Que tu doutes encore de toi malgré le diagnostic.

Tu peux dire que parfois, tu te demandes si effectivement, tu n'aurais pas dû perdre du poids plus tôt. Ou être plus insistante. Ou mieux expliquer. Même si tu sais rationnellement que ce n'était pas de ta faute.

Et elle comprend. Vraiment. Viscéralement.

Elle ne te dit pas "au moins maintenant tu sais". Elle ne te dit pas "il ne faut pas ressasser le passé". Elle ne te dit pas "tu devrais être reconnaissante d'avoir enfin un diagnostic".

Elle te dit : "Oui. C'est vraiment de la m.... Tu as le droit d'être en colère. Ce que tu as vécu n'était pas normal."

Et ça, c'est exactement ce dont tu avais besoin.

Partager avec d'autres qui connaissent l'errance (et ses injustices)

L'errance diagnostique, c'est une expérience commune à beaucoup de femmes avec maladies chroniques.

Endométriose, fibromyalgie, maladies auto-immunes, SOPK, spondylarthrite, SEDv, Lyme... Pour toutes ces pathologies, le délai moyen de diagnostic se compte en années. Souvent plus pour les femmes racisées, pour les femmes grosses, pour les femmes précarisées.

Des années pendant lesquelles on ne te croit pas.

Quand tu partages avec d'autres femmes qui ont vécu ça, quelque chose se passe.

D'abord, tu réalises que tu n'es pas seule. Que ce n'est pas juste toi qui es tombée sur de mauvais médecins. Que c'est un problème systémique. Que des milliers de femmes vivent la même chose.

Que le système médical a un problème avec les femmes. Avec les femmes qui ne correspondent pas au "patient type" imaginé comme un homme blanc de 70kg. Avec les femmes racisées dont la douleur est systématiquement minimisée. Avec les femmes grosses qu'on refuse de soigner tant qu'elles n'ont pas maigri.

Ça t'enlève une partie de la culpabilité.

Ce n'est pas de ta faute si ça a pris 10 ans. Ce n'est pas parce que tu ne t'es pas assez battue. Ce n'est pas parce que tu ne t'es pas assez fait entendre. Ce n'est même pas parce que tu n'es pas allée voir assez de médecins.

C'est parce que le système médical a des biais. Des biais de genre, de race, de corpulence. Point.

Ensuite, tu bénéficies de l'expérience des autres.

Celle qui a trouvé un super médecin qui écoute vraiment. Celle qui a une stratégie pour gérer la colère. Celle qui a réussi à reconstruire sa confiance en elle malgré les années de gaslighting. Celle qui a appris à ne plus s'excuser d'exister avec sa maladie.

Celle qui a compris comment naviguer dans le système en étant une femme grosse. Celle qui a trouvé des médecins non discriminants. Celle qui a arrêté de se justifier.

Tu te nourris de leur vécu. Et tu leur offres le tien.

Et surtout, tu peux enfin parler de tout ça. De ces années perdues. De cette colère. De cette reconstruction. De ces doutes qui persistent. De cette culpabilité irrationnelle qui revient parfois.

Sans avoir l'impression d'être "lourde". Sans avoir peur de plomber l'ambiance. Sans devoir édulcorer ton vécu pour le rendre acceptable.

Parce que toutes comprennent. Parce que toutes sont passées par là.

Elles savent ce que c'est d'avoir perdu des années à cause d'un système qui ne t'écoutait pas. Elles savent ce que c'est de se reconstruire après avoir été maltraitée médicalement. Elles savent ce que c'est de devoir réapprendre à se faire confiance après des années de gaslighting.

Et elles savent aussi que tu es bien plus que cette errance et que cette maladie.

Que tu as une vie professionnelle, des relations, des projets. Que ta maladie et son diagnostic tardif font partie de ton histoire, mais qu'ils ne sont pas toute ton identité.

Dans notre groupe de parole, tu peux parler de l'errance. Mais tu peux aussi parler de maintenant. De comment tu vis avec cette maladie maintenant qu'elle a un nom. De comment tu reconstruis ta vie. De comment tu avances dans toutes les sphères de ton existence.

L'errance fait partie du contexte. Mais elle n'est pas le seul sujet.

Un espace pour déposer tout ça

Tu ne peux pas continuer à porter seule

2, 5, 9 ans d'errance, c'est lourd. Le diagnostic qui arrive enfin mais qui ne résout pas tout, c'est lourd. La reconstruction, c'est lourd.

Tu ne peux pas continuer à porter tout ça toute seule.

Tu as besoin d'un espace où tu peux poser ce poids. Où tu peux dire ce que tu n'oses pas dire ailleurs.

Que tu es en colère. Que tu en veux à tous ces médecins qui ne t'ont pas crue. Que tu es triste d'avoir perdu 8 ans. Que tu as peur de ne jamais te reconstruire vraiment. Que tu doutes encore de toi même avec le diagnostic. Que tu continues à te demander si tu n'exagères pas.

Tout ça, tu as besoin de le dire. Et d'être entendue.

Pas jugée. Pas minimisée. Pas renvoyée à "au moins maintenant tu sais".

Juste entendue. Vraiment. Par des femmes qui savent.

Pas juste parler de la maladie

Mais voilà le truc : tu n'es pas QUE ton errance diagnostique. Tu n'es pas QUE ta maladie chronique.

Tu es aussi une femme avec une vie professionnelle, des relations, des projets, des doutes qui n'ont rien à voir avec la santé.

Et tu as besoin d'un espace où tu peux parler de TOUT ça.

De comment parler de ta maladie à ton nouveau boss. De cette amitié qui s'est délitée pendant ton errance. De ce projet que tu veux lancer mais que tu n'oses pas. De cette relation amoureuse qui est compliquée à cause de ton parcours.

Tu as besoin d'un espace où ta maladie fait partie du contexte, mais où elle n'est pas le sujet unique.

Où tu peux être toi. Entière. Avec toutes tes facettes.

Pas juste "la femme qui a mis 8 ans à être diagnostiquée". Mais la femme qui a vécu 8 ans d'errance ET qui a des ambitions pro ET qui se pose des questions sur sa vie amoureuse ET qui a envie de voyager.

Toutes ces dimensions de toi méritent d'avoir leur place.

L'intelligence collective pour avancer

Dans les groupes de parole, tu partages avec d'autres femmes qui vivent elles aussi avec des maladies chroniques, et tu bénéficies d'un truc précieux : l'intelligence collective.

Celle qui a trouvé le moyen qui lui convient pour gérer sa colère. Celle qui a des stratégies pour reprendre confiance en son ressenti. Celle qui a réussi à refaire des projets malgré la maladie chronique.

Tu repars avec des pistes. Des outils. Des perspectives nouvelles.

Pas des conseils tout faits qui ne s'appliquent pas à ta situation. Mais des retours d'expérience concrets, de femmes qui sont passées par là.

Et toi aussi, tu apportes. Ton vécu. Tes stratégies. Ta façon à toi de gérer.

C'est un échange. Une richesse mutuelle.

Et souvent, c'est en écoutant l'histoire d'une autre que tu comprends quelque chose sur la tienne. Que tu prends conscience d'un truc que tu n'avais pas vu. Que tu te donnes la permission de ressentir ce que tu ressentais sans oser te l'avouer.

C'est ça, la magie du collectif.

Pour finir : tu mérites d'être écoutée

Si tu es arrivée jusqu'ici, c'est que ça résonne en toi.

Ces années d'errance, tu les as vécues. Cette colère contre le système qui ne t'a pas prise au sérieux, tu la connais. Ce soulagement du diagnostic mêlé à la tristesse des années perdues, tu le ressens. Cette difficulté à te reconstruire, tu la vis.

Et tu n'as pas à porter tout ça seule.

Tu mérites un espace où tu peux déposer ces années. Où tu peux dire ce que tu ressens sans avoir peur d'être jugée. Où tu peux parler de ta reconstruction sans qu'on te dise "il faut positiver". Où tu peux exprimer tes doutes qui persistent sans qu'on te dise "arrête de ressasser".

Un espace où tu es comprise. Vraiment. Par des femmes qui savent.

Parce qu'elles aussi ont mis des années à être diagnostiquées. Parce qu'elles aussi se reconstruisent.

Un espace où tu peux être toi, entière. Avec ton histoire d'errance diagnostique, mais pas QUE ça. Avec tes projets, tes relations, tes questionnements, ta vie qui continue malgré tout.

Un espace où tu peux enfin respirer.

Les groupes de parole pour femmes qui vivent avec des maladies chroniques existent.

L'important, c'est de trouver un espace sécurisant. Où la parole circule librement. Où chacune a sa place. Où on peut dire les choses vraies, même quand elles ne sont pas jolies. Où on est soutenue sans être plainte.

Un espace qui te permet d'avancer.

Pas de faire comme si ces années d'errance n'avaient pas existé. Pas de faire comme si le système médical n'avait pas failli. Mais d'intégrer cette expérience dans ton parcours. De transformer la colère en force. De reconstruire une confiance en toi et une envie de réinvestir les autres sphères de ta vie.

D'arrêter de douter de toi.

Parce que tu avais raison depuis le début. Ton corps t'envoyait des signaux. Et ces signaux étaient réels.

Tu n'étais pas folle. Tu n'exagérais pas. Tu n'inventais rien.

Tu souffrais. Et tu méritais d'être crue.

Aujourd'hui, tu as ton diagnostic. C'est une victoire amère. Parce que oui, c'est mieux que de ne pas savoir. Mais ça ne rend pas les années perdues. Ça n'efface pas les traumatismes du parcours médical. Ça ne compense pas le fait qu'on ne t'a pas écoutée pendant si longtemps.

Il y a tout un travail de reconstruction à faire. Une confiance à rebâtir. Une vie à reprendre. Des deuils à faire. Une colère à transformer.

Et pour ça, être entourée de femmes qui comprennent vraiment, ça change tout.

Parce qu'elles te rappellent que tu n'es pas seule. Que ce que tu as vécu n'est pas acceptable mais que tu peux t'en relever. Que ces années ne définissent pas toute ta vie.

Que tu es bien plus que ton errance diagnostique. Bien plus que ta maladie.

Une femme avec des forces, des fragilités, des désirs, des peurs. Une femme qui reconstruit. Une femme qui avance. Une femme qui refuse de se réduire à ces années perdues.

Et qui mérite d'être entendue, crue, soutenue.

Par des femmes qui savent. Qui ont vécu. Qui comprennent.

Sans avoir besoin de traduire. Sans avoir besoin de convaincre. Sans avoir besoin de prouver.

Juste d'être. Enfin.

Si tu ressens le besoin d'un espace pour parler de ton quotidien avec la maladie chronique, le BlablaClub a crée les groupes de parole "Libre Malgré tout". N'hésite pas à nous rejoindre.